Voici un article paru dans le CFDT magazine de novembre 2012, écrit par Didier Blain.
Pourquoi vous le présenter ? Car c’est la méthode d’organisation qui est mise en place par la direction. Nous avons fait part de nos craintes lorsque ce thème a été évoqué en négociation de l’accord ADD, nous avions d’ailleurs distribué un tract en ce sens.
Lean management,
attention aux dérapages !

Le lean management a le vent en poupe. Cette forme d'organisation du travail a fait partie des outils proposés en octobre 2011 lors des Assises de l'Industrie aux petites et moyennes entreprises pour améliorer leur productivité, afin de maintenir le tissu industriel français. Des moyens importants (200 millions d’euros) ont été mis sur la table pour les aider à cet effet. Un institut du lean management a été créé en France en 2007. Il forme de nombreux cadres au lean. Plusieurs cabinets de consultants «lean» ont vu le jour ces dernières années. Après s’être longtemps cantonné au secteur automobile, qui lui a donné naissance, le lean management se diffuse plus largement.

Un modèle incontournable
Tous les secteurs d’activité sont touchés, l'ensemble de l'industrie, des services de production aux bureaux d'études, le secteur tertiaire, et maintenant les administrations et les PME: le lean est partout. «Il est promu aujourd’hui comme le modèle incontournable ››, fait observer Henri Forest, secrétaire confédéral de la CFDT en charge de ce dossier. Des salariés de plus en plus nombreux y sont confrontés. «Sa diffusion dans l'ensemble des entreprises nous interroge, explique Mélanie Burlet de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), l 'Agence prendra une position sur le lean management d’ici la fin de l’année».
De fait, le lean management n'est pas sans poser de questions : Qu'est-ce que le lean? Quels en sont les principes ? Quelles conséquences pour l’entreprise et les salariés ? Et comment y faire face pour des équipes syndicales ?

Le Lean, qu'est-ce que c'est ?
Le mot anglais lean signi?e mince. Cette méthode d'organisation du travail consiste à chasser les gaspillages de matières, de gestes, de déplacements, de temps afin d'augmenter la productivité. Elle fonde cette chasse au gaspi (qui n'a rien à voir avec un quelconque concept de développement durable) sur la participation des salariés eux-mêmes. Lors de groupes de paroles, les salariés expriment les obstacles qu'ils rencontrent sur leur poste de travail. «Sur le principe en tant qu’organisation syndicale, constate Marc Ménager, ex-délégué syndical central CFDT de STX Europe à Saint-Nazaire, on ne peut pas être à priori hostile à une méthode qui permet aux salariés de s'exprimer sur leur travail››. A priori, non.
Ces problèmes évoqués par les salariés sont examinés par la hiérarchie qui décide de modi?er ou non l'activité du salarié. Chez les experts, le débat est vif sur la remontée des paroles de salariés. « Qui organise leur expression ? interroge Catherine Pinchaut, du cabinet DS&O (Développement social et organisation), Comment-est-elle remontée ? Qui filtre ? Dans quel but? Sur quel critère de performance évalue-t-on la pertinence des paroles ? Quelles capacités on les managers d'entendre les critiques ?››. Mélanie Burnet ajoute: «Les promoteurs du lean et les professionnels de l'analyse du travail emploient les mêmes mots, mais ils ne parlent pas le même langage. ››

Quelles conséquences pour les entreprises et les salariés ?
Dans un premier temps, la mise en place du lean permet des gains de productivité et donc de compétitivité
Avec la mise en place de cette méthode ou de ses dérivés, on a vite vu apparaître des risques psychosociaux, du stress et des troubles muscla-squelettiques (TMS).
En rationalisant des gestes, en éliminant des temps morts et certains déplacements apparemment inutiles, on a intensi?é le travail et supprimé des temps de respiration physique et mentale des salariés. «On est allé très loin, poursuit Jean-Luc Colin, certains TMS sont particulièrement invalidants et peuvent conduire à la rupture du contrat de travail. Le système français n'incitant pas les entreprises à faire de la prévention, les salariés usés sont alors transférés à la charge de la collectivité. Cela devient un problème de santé publique. » De plus, ces phénomènes d’usure liés au lean ont été concomitants à une externalisation de certaines activités et notamment des postes « doux» sur lesquels on plaçait auparavant les salariés usés. «Toute la difficulté consiste à trouver le point d'équilibre entre l'amélioration de la façon de faire, l'élimination des gestes inutiles et pénibles et l'augmentation de la productivité, estime Henri Forest, c'est malheureusement, rarement le cas et les possibilités de rééquilibrage sont quasi nulles. » La logique «lean» poussée à son paroxysme a eu parfois de graves conséquences sur la qualité des produits. Toyota a fait revenir plusieurs dizaines de milliers de véhicules défectueux au cours de la décennie passée. Dans le secteur tertiaire, une application dogmatique du lean a conduit à demander aux salariés de poser leur stylo à tel endroit du bureau pour éliminer des gestes inutiles! «Les intentions managériales sont déterminantes, estime Matthieu Pavageau du cabinet DS&O, aux mains d'un chef zélé, cet outil peut devenir un instrument de torture des salariés»

Faire face au Lean
Pour les équipes syndicales, la première difficulté consiste à identifier le lean. «Souvent les institutions représentatives du personnel (IRP) sont écartées de la démarche lean, constate Catherine Pinchaut, lorsqu'elles s'en rendent compte, c’est déjà trop tard ››. «L'idéal est d'intervenir en amont, conseille Henri Forest, nous recommandons à nos équipes de demander des expertises sur les changements à venir et sur les conséquences pour les salariés ››. Mais pour cela, il faut des équipes syndicales fortes, c’est loin d'être le cas dans toutes les entreprises. «Les demandes d'expertise des IRP se multiplient, confirme Mélanie Burlet, et les décisions des managers lean sont de plus en plus chahutées››. De son côté, la FGMM travaille dans plusieurs instances à la mise au point d'outils de détection du lean qui devrait permettre aux salariés et à leurs représentants d’avoir une légitimité pour discuter de ces questions. Elle participe également à un projet européen « recherche/ action ›› dont l’objectif est de proposer une formation pour les délégués syndicaux. Des formations indispensables pour que les équipes syndicales puissent intervenir concrètement sur l’organisation du travail évitant ainsi les effets pervers de ce modèle dit « incontournable ››.

JUSTICE
En janvier 2011, le tribunal de grande instance de Nanterre a donné raison au CHSCT de Capgemini technologies services contre sa direction qui refusait l'expertise d'un cabinet sur la mise en place du lean dans l’entreprise. Attitude d'autant plus incompréhensive de la part de la direction de Capgemini que celle-
ci organise la mise en place du lean au... ministère de la Justice!

LES AUTRES NOMS DU LEAN
Une des caractéristiques du lean management est d'avancer masqué. Appelé au départ Système de production Toyota ou Toyotisme, puis lean management ou lean manufacturing ou encore démarche d'excellence opérationnelle. ll fait appel à des méthodes de travail aux noms barbares tels que 5M, 55, 3M, W3, Kaisen, Kanban, Six Siqma, Oshin. ll peut aussi être affublé d'une appellation locale. Une entreprise dont on ne citera pas le nom, lui a donné le titre d'Elan. Cette fois, l’anagramme était facile à déchiffrer!



Les apprentis sorciers de La Poste
A La Poste, le lean a été présenté comme une expérimentation évitant ainsi tout passage devant le comité d'entreprise ou le CHSCT. Inspiré par les méthodes japonaises, il a été mis en place par sept hauts cadres qui s'appelaient entre eux « les sept samouraïs››. Son développement sur les lieux de travail a vite rencontré des difficultés: pénibilité accrue pour les salariés, stress, etc. «Le plus dura été d'identifier le lean, explique Jean-Yves Laudridou, secrétaire fédéral de la fédération Conseil Culture Communication (F 3C-CF DT), le cabinet Secafi nous a aidés à décrypter ce qui se mettait en place ››. En fait, les initiateurs du lean ont joué les apprentis sorciers. «Ils ont plaqué leurs solutions "prêt-à-porter" sur une organisation du travail qui avait besoin de cousu main ››, explique le syndicaliste. Pour lui, ce type de réorganisation du travail ne peut fonctionner «qu'avec un dialogue social permanent dans lequel les organisations syndicales disposent de véritables moyens de contrôle. ››
 

 



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