PARIS (AFP) - "Le premier jour, c'est un choc. C'est la cadence de tuerie qui fait que c'est violent. C'est pan, pan pan, ça s'arrête pas, c'est une bête qui meurt toutes les minutes", raconte Serge dans le film de Manuela Frésil "Entrée du personnel", tourné dans des grands abattoirs industriels de la côte ouest de la France.
Le film (en salle mercredi) a été réalisé à partir des récits de vie des salariés. En voix off, ils racontent l'intensification des tâches : trancher la viande, découper, désosser, ficeler, mettre en barquette ou étiqueter. Ils racontent la mort des bêtes et aussi la déshumanisation des usines.
Ce qui frappe d'abord le spectateur, qui suit les ouvriers du petit matin à la sortie d'usine, c'est le bruit, le son métallique des machines qui s'entrechoquent. Puis, les corps en action avec les mouvements rapides, saccadés des ouvriers de la chaîne qui se répètent à l'infini, des centaines de fois par heures.
Un travail qui fait souffrir. "Une fois qu'on a appris les gestes, on est comme des machines", assure une ouvrière, revêtue comme les autres d'une tenue blanche des pieds à la tête, de gants et d'un casque contre le bruit. Mais, ces machines se détraquent, "un poignet qui lâche, trois semaines d'arrêt maladie avec des infiltrations à faire". Au retour à l'usine, on refuse de la changer de poste, "un mois après, c'est l'autre poignet qui lâche".
Les cadences s'accélèrent avec l'arrivée récente de nouvelles machines. "Gagner des secondes, produire encore plus pour les rentabiliser et casser les prix", déplore un ouvrier qui assure qu'"à chaque fois, ça a durci le travail des gens".
Des cadences, ils disent: "la matière première qui baisse, les coûts d'emballage qui augmentent, sur quoi peut-on gagner ? On est arrivé à des cadences, où je ne vois pas comment on peut aller plus loin".
"On tient quand même, jusqu'au jour où l'on ne tient plus. Alors l'usine vous licencie. À moins qu'entre temps on ne soit passé chef, et que l'on impose maintenant aux autres ce que l'on ne supportait plus soi-même", ironise un ouvrier.
La chaîne marque de façon indélébile les salariés qui parlent aussi de leur souffrance morale. "Ça fait deux ans que j'ai quitté l'abattoir, je fais toujours des cauchemars. Il n'y a pas de nuit où je ne tue pas une vache", confie un retraité.
Le documentaire a remporté le Grand Prix de la Compétition Française au Festival international de cinéma de Marseille (2011) et le prix spécial du public au festival "Filmer le travail" à Poitiers (2012).